Dirty Buddies
Phnom Penh, le 22 juin 2005
Aujourdhui, ami lecteur, nous avons eu un accident de la route.
La publication de cet article rassurera ton petit cur sur lissue heureuse de ce coup du sort : nous écrivons, donc nous vivons. Mais la moitie dentre nous est, pour ainsi dire, mal en point.
Tu nous connais, ami lecteur, nous fuyons ces lieux ou le touriste sagglutine, sentasse en masses adipeuses et huileuses. Nous recherchons, la substantifique moelle, la vérité des pays ou nos pas nous mènent. Alors on a voulu aller tâter de lenfer vert, le vrai, celui ou ya ptet ben encore du vilain khmer rouge (celui-la même sur lequel lignorant et grossier yankee sest brise les dents) et du tigre, là-bas, dans les cataractes qui brisent le cours immémorial du Mékong : dans le Ratanakiri. En plus le nom est rigolo ; un peu comme le marsupilami.
Mais plus dangereux que le cruel khmer rouge, au Cambodge, il y a la route. Enfin, route, cest le terme générique que lon emploie commodément pour se faire comprendre. En réalité, comme Cofiroute ne sest pas trop penche sur son cas, le Cambodge a un peu fait son réseau routier comme il pouvait. Certes, aux temps glorieux et merveilleux de lIndochine et du Protectorat, la patrie des Droits de lHomme, porteuse de la flamme de la Civilisation, avait bien construit de sublimes pistes en latérite avec de petites bornes kilométriques blanches et rouges tout comme chez nous, mais, depuis, les Cambodgiens nont rien fait qua faire la guerre, foutre des mines partout et jouer a « boum! la route ». Résultat cest un bordel à donner le frisson à un ingénieur de la DDE.
Une route, par-ci, cest un espace globalement dégage de sa végétation, se voulant plat, présentant au hasard des conditions climatiques et géologiques, une surface soit poussiéreuse, soit boueuse, soit sableuse ou bien encore rocailleuse, ou tout en même temps. Cest aussi un formidable lieu de vie. Le Cambodgien, friand de contacts, aime vivre sur la route, souvent accompagne de sa maisonnée : adultes, enfants, poules, chiens, cochons, chevaux ou vaches. Toute cette joyeuse ménagerie pouvant déboucher sur la route soudainement juste pour voir ce qui sy passe. Le sort, a astucieusement place pour maintenir lattention du conducteur, des trous profonds, remplis dune eau rougeâtre, un peu partout sur la route. On en trouve de toute sorte : des grands, des petits, des costauds, des longs, des courts, des vicieux, des farceurs, etc. Et puis, des fois, ya des rivières et pas de pont.
Comme on est des aventuriers, on voulait absolument se frotter à la route cambodgienne. Alors on a loue de très belles moto-cross 250 cm3. On avait fière allure sur nos belles machines, on allait vite, le vent fouettait notre visage On était beaux, on était libres.
Un après-midi entier sur une piste défoncée sous un orage de mousson : no problem.
La boue, la sueur, les larmes : no problem. Ils nous faisaient doucement marrer les rigolos du Camel Trophy.
Et puis patatras, la boulette.
Antoine était le plus confiant dentre nous. Tel Cyril Neveu, il dévorait la piste, ouvrant la marche au milieu des bosses et des arbres écroules. Son il vif lisait les dangers Du moins, cest ce quil croyait.
A 25 kilomètres du cul du monde, Ban Lung, tout sest arrete.
Bizarrement, a cet endroit, la piste était plutôt bonne. Elle était toute plate avec juste une ornière sur le cote. Antoine choisit lornière.
Comment mettre des mots, comment expliquer ce que David vit.
Un gros caillou, de la taille dun ballon de football, trônait bêtement au milieu de lornière ; et pour ça, Buddy nétait pas encore prêt. Alors Buddy vola. Son corps flotta un instant dans lair humide et moite de la jongle. Puis il retomba, grotesquement, tel un pantin désarticule. Lui et sa moto, après quelques rebonds erratiques, vinrent choir sur le bas cote, sur deux gros rochers vicieux noyés dans les bambous.
Pour bien vous expliquer notre situation a cet instant present et pour les heures a venir, il faut laisser la parole au paragraphe dun guide consacre a ces questions :
« Si être blesse dans un accident de la circulation à Phnom Penh constitue un sérieux problème, en province, cest une catastrophe. »
Lonely Planet Cambodge, 4eme Edition, p89
Buddy, sonne, groggy, et souffrant de lépaule et du poignet, fut charge dans un 4x4 qui partait à Ban Lung, la grande ville de la province. David et un indigene recrute pour loccasion afin de conduire la moto dAntoine, le suivirent.
Le bâtiment le plus marrant de Ban Lung est sans aucun doute lhosto. Il faut tout dabord, en sen approchant, prendre garde a ne pas marcher sur lun des serpents qui traversent la route. Ensuite on découvre une grande bâtisse des années 60, décrépie, ou les malades disposes un peu partout, dantédiluviens goutte a goutte plantes dans les bras, semblent plonges dans une attente hebetee. Nous nous mimes à la recherche dun médecin. A cette heure avancée de laprès-midi, 5h00, il ny en avait plus. Le dentiste, préposé au fonctionnement de lappareil de radiographie, mit rapidement fin à nos espoirs en nous expliquant quil ny avait plus délectricité. Les autres médecins de la ville, eux, avaient tous décide de passer le WE a Phnom Penh. Il fallait donc rentrer à Phnom Penh. Ce qui fut fait par le 1er avion, 2 jours, et 4 tablettes de puissant Doliprane plus tard.
Durant sa mauvaise nuit, Antoine eut tout le loisir de lier connaissance avec un homonyme, français, très sympathique, qui souffrait dune bonne crise de palu. David, très fatigue par ces événements, dormait, ayant demande quon ne le réveille sous aucun prétexte.
Depuis notre retour, David joue a Dirty Sanchez : laver, torcher et essuyer le corps meurtri et les aisselles suantes dun Antoine plâtre a cause de sa clavicule et de son poignet casse.